CERCLE DU LIVRE
Cet été, nous avons lu “Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon” de Jean Paul Dubois , et samedi 8 octobre nous nous sommes rencontrées, toujours en distanciel pour échanger impressions et commentaires.
De l’auteur, nous savons seulement qu’il est né en 1950 à Toulouse où il réside encore, qu’il a été grand reporter pour le Nouvel Observateur, correspondant de presse aux Etats-Unis et qu’il a épousé une québécoise. Voilà pourquoi plusieurs de ses romans dont celui-ci sont situés au Canada qu’il connaît bien.
Comme cela arrive très souvent, quelques lectrices ont eu du mal à “ accrocher” dès le début mais très vite on a surmonté cette difficulté grâce à la construction du roman, à la découverte des personnages qui prennent forme et épaisseur page après page et à l’envie croissante de savoir pourquoi Paul Hansen est en prison .
LA CONSTRUCTION DU ROMAN
En ce qui concerne la construction du roman: nous avons bien aimé cette alternance de faits qui se passent en prison au moment de l’écriture et d’autres qui par des retours en arrière nous permettent de parcourir la vie du protagoniste Paul Hansen depuis sa naissance jusqu’à son retour au village natal de son père à Skagen , extrême nord du Danemark; alternance qui , en évitant la monotonie rend la lecture passionnante.
Les personnages, tous bien décrits, que l’on découvre au fil du roman. A commencer par Patrick, son codétenu, un “ colosse assassin” , “un homme et demi” qui a “ un côté touchant mais aussi sacrément angoissant..” si on pense à sa peur des rats ou à sa phobie concernant la coupe de ses cheveux. Paul et Patrick doivent apprendre à cohabiter et à habiter ce petit monde qu’est la prison chacun à leur façon.
LE PROTAGONISTE, LE PERSONNAGES
Paul Hansen est le protagoniste que l’on va suivre depuis sa naissance; nous allons connaître ses parents, Anna, sa mère, française, exploite un petit cinéma Art et Essai à Toulouse; Johanes Hansen, son père, danois est pasteur protestant. Nous suivons les aventures du couple, leurs voyages, leurs disputes, leur séparation. Paul va se lier plus étroitement à son père puisqu’il le rejoindra au Canada et sera le témoin de ses déboires avec les courses de chevaux, le jeu au Casino et de sa lente et inexorable perte de la foi.
Parmi les principaux personnages, il faut citer aussi Kieran Read et les copropriétaires de L’Excelsior, l’immeuble de Montréal dont Paul sera “pendant 26 années, le superintendant, le concierge, le factotum, l’infirmier. le confesseur, le jardinier, le psychologue…bref l’honorable gardien de ce petit temple dont je possédais presque toutes les clés, dont je connaissais tous les secrets.” Kieran Read est la seule personne qui l’a soutenu, pris sa défense lors de son procès et il s’oppose à Edouard Sedgwick, le nouveau président administrateur “archétype du fourbe cauteleux, du chacal sournois” …”mélange de familiarité et d’arrogance, de technicité et de mépris…”, qui, on l’apprendra plus tard - et je n’en dirai pas davantage - sera la cause du drame qui conduira Paul en prison.
Au passage, il faut dire que les personnages de Kieran Read et de Paul- superintendant de l’Excelsior- sont inspirés d’un véritable superintendant d’un immeuble de Montréal et ami de l’.auteur
Pour terminer, il faut parler des deux personnages qui sont peut-être les plus attachants, les plus lumineux, Winona et Nouk. Winona, irlandaise par sa mère, algonquine par son père, pilote d’hydravion “ appartenait à la catégorie de celles qui vivent avec la conscience, à chaque seconde, de ce que la vie est beaucoup trop courte et précieuse pour accepter de la ralentir dans les files d’attente des problèmes subalternes.” “Elle représentait à mes yeux le formidable condensé de deux mondes anciens….Elle avait grandi dans le corridor des légendes….elle était aussi une femme pragmatique”. Avec elle, il va vivre une merveilleuse histoire d’amour “sans contrat ni serment sacré” comme il est d’usage chez les Algonquins, qui sera interrompue, 11 ans après, par un terrible accident. C’est encore Winona qui va adopter Nouk “un merveilleux animal, subtil, curieux de découvrir et d’apprendre le monde, attentif à nos peines devinées avant même d'être ressenties.” et la relation entre Nouk et son maître parvient à nous émouvoir.
Emotion aussi de lire combien certains de ces personnages, morts désormais, Winona, Johanes, Nouk sont si importants pour le narrateur qu’ ils viennent le visiter en prison “ Chacun à sa façon, dans son rôle, ses attributions, m’épaulait sans jamais me juger.” P. 16 et 17.On a toujours besoin de nos morts…..
LE STYLE
A tout cela, il faut ajouter que la langue, le style de Jean Paul Dubois rendent très agréable et fluide la lecture. A part quelques pages où J.P. Dubois par la bouche de son héros Paul Hansen se lance dans des descriptions plutôt techniques comme celle de la voiture de son père NSU Ro 80, celle de l’orgue B3 Hammond ou encore le traitement chimique de la piscine et d’autres que pour ma part j’ai trouvé ennuyeuses et même inutiles mais qui, en toute honnêteté, sont dignes de louanges tant elles sont bien faites et riches de détails; à part ce petit bémol donc, le talent de J.P. Dubois nous a offert de très belles descriptions : du :monde carcéral - qu’il connaît bien pour avoir visité de nombreuses prisons aux USA quand il était journaliste -, de la résidence l'Excelsior à Montréal - un peu comme celle où habitait sa belle famille - des paysages du Danemark (l'église ensablée p.27 ) , des mines d'amiante à Thetford Mines au Canada ( de p.77 à p.80) , des vastes paysages canadiens pleins de couleurs et de sérénité, au fil de ses voyages avec l'hydravion de Winona et, peut-être la plus admirable, celle de l’organiste de la Methodist Church, Gérard LeBlond “ un musicien phénoménal, aux doigts arachnéens..” ( p.93).
Nous avons beaucoup aimé à la fin du roman, quand Paul, enfin libre, accomplit les quelques gestes qui vont lui permettre de tourner la page : acheter des livres sur les Harley Davidson et les offrir à Patrick resté en prison, prendre sa revanche sur Sedgwick en se baignant dans la piscine P.231, 232 “ Cette cure d’observation silencieuse dut lui sembler durer des siècles , mais il ne broncha pas, m’offrant simplement le délicieux spectacle de son orgueil brisé, de son épaule suppliciée” , se rendre au casino de Montréal qui remplace le petit cercle de jeu où son père s’était ruiné, miser 100 dollars et partir avant de savoir s’il avait gagné ou perdu “pour venger Johanes à ma façon, solder ses comptes, nettoyer l’ardoise, remettre de l’ordre dans les chiffres”, et pour terminer, avec les cendres de Nouk, s’envoler vers le Danemark pour se réunir à la famille de son père. Quel beau message que celui de cet homme qui après avoir fait le tour de sa vie réalise qu’en fin de compte, il n’est que le fils de son père !!
LE TITRE
Que dire du titre? cette phrase, c’est son père, le pasteur, qui la cite comme venant de son propre père dans son dernier prêche et ce sont ses derniers mots: “Je vous demande alors de conserver à l’esprit cette phrase toute simple que je tiens de mon père et qu’il utilisait pour minorer les fautes de chacun: “ Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon". Une exhortation donc à relativiser les points de vue.
C’est un roman sur l’échec - tous les membres de la famille de Paul ont gâché leur existence ….chacun à sa façon - mais ce n’est pas le roman d’un perdant, bien au contraire, Paul n’éprouve aucun remords, accepte toutes ses pertes et en fait un élément de progression.
C’est un roman sur la liberté - paradoxalement, la prison où le sordide côtoie l’humour est une porte ouverte sur une forme de liberté: on a le temps de reconsidérer sa vie, de vivre avec ses morts et comme par magie, le puzzle des idées se recompose -
C’est un roman sur la force de l'être humain - Paul, anéanti, broyé par la vie résiste et reprend le fil de son destin.
J. P Dubois a dit dans une interview qu’il avait beaucoup de mal à accepter les injustices et l’inhumanité sociale rencontrée au quotidien. Dans son roman, il choisit le camp de ceux qui se révoltent, qui revendiquent le droit de vivre avec un minimum/maximum de dignité et pour qui, parfois la violence est légitime.(M.R.)
Tous les hommes n'habitent pas le monde de la meme facon - Jean Paul Dubois - Editions Points
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