"Le Pays des autres", CERCLE DU LVRE
"Le pays des autres", de Leila Slimani ...voilà le titre du roman dont nous avons discuté samedi 14 janvier 2023. C’était la première fois que nous approchions cette auteure.
L'AUTEURE Elle est née en 1981 à Rabat, au Maroc dans une famille aisée; sa mère, d ’origine franco- marocaine a été une des premières femmes médecin spécialisée du Maroc; son père banquier et haut fonctionnaire marocain . Elle fait ses études au lycée français Descartes de Rabat. Son bac en poche, elle part à Paris en prépa. littéraire au lycée Fénelon. Après un diplôme en sciences politiques, passionnée de théâtre, elle entre au cours Florent. Très vite, elle se tourne vers les médias et s’inscrit à l'école supérieure de commerce. Là, elle rencontre le journaliste Christophe Barbier qui lui propose une formation au magazine L’Express. A partir de 2008 elle sera journaliste à Jeune Afrique jusqu'en 2012 où elle décide de se consacrer à l’écriture et quitte le journal. Un premier succès arrive en 2014 avec le roman “Dans le jardin de l’ogre” et en 2016 c’est le prix Goncourt qui vient récompenser “Chanson douce”. Leila Slimani est une auteure engagée, influencée par Simone de Beauvoir, Virginia Woolf et Simone Weil à laquelle, en 2017, elle consacre un hommage intense dans “Simone Weil, mon héroïne”. Aujourd’hui, figure de proue de la libération de la parole des femmes au Maghreb, elle est très appréciée des associations féministes et LGBT. En 2017, Emmanuel Macron l’a choisie comme conseillère sur les questions de francophonie.
LE ROMAN Le roman, le premier d'une trilogie intitulée "Le pays des autres" , sous-titré “La guerre, la guerre, la guerre” est une fresque familiale, historique, politique, a comme protagonistes Amine et Mathilde dont l'histoire aurait été inspirée par celle des grands parents de l'auteure. Celle-ci, dans une interview à France-Inter explique ce qui l'a incitée à entreprendre cette œuvre. D'une part, une sorte de défi littéraire: après ses deux premiers romans qui se déroulaient, dit-elle, en huis-clos, dans notre société contemporaine, elle voulait en savoir plus sur son histoire familiale, revenir à son enfance, aux images du Maroc, s'intéresser à la période de 1945 à 1955 riche de changements. Selon elle, jusqu'à présent, les littératures coloniales se sont concentrées sur l'histoire algérienne et l'immense douleur qu'elle a suscité a offusqué celle des autres pays du Maghreb. A ce propos, elle critique la création de l'adjectif maghrébin/e qui, à son avis, implique une uniformisation. En exergue du roman, nous trouvons une dédicace “ A la mémoire d’Anne et d’Atika dont la liberté ne cesse de m’inspirer“, allusion à sa grand-mère Anne Ruetsch et une citation d’Edouard Glissant “ La damnation de ce mot: métissage, inscrivons-la en énorme sur la page.”. Dans les entretiens qu’elle a accordés à différents journaux, Leila Slimani précise sa pensée sur le métissage: damnation parce que le métis est condamné à ne pas savoir qui il est, ce sont les autres qui le lui disent.(exemple Obama qui est métis est dit le premier président noir des Etats- Unis). Pour elle, le métissage a été au départ une soustraction puis c’est devenu une force grâce à l’écriture. Il y aurait deux visions du métissage, la première candide, les métis ont plus que les autres, ils sont beaux, intelligents..etc..; la deuxième inquiète, le métis est un être double dans lequel se dissolvent les caractères nationaux; mais, dit-elle, les deux ne sont que des jugements de valeur, or le métissage ce n’est ni bien ni mal, ce n’est pas une valeur c’est un fait.
“ Le pays des autres”....une expression qui semble contredire le proverbe italien “Tutto il mondo è paese” , un titre qui nous a interpelées puisque certaines d’entre nous ont vécu cette expérience et qui peut être vu sous différents aspects et pour différents personnages.
LES PERSONNAGES Tout d’abord, évidemment Mathilde, l’alsacienne, qui à la fin de la seconde guerre mondiale tombe éperdument amoureuse d’Amine, un spahi marocain venu combattre dans l’armée française et l’épouse. Elle, que la guerre a privée d’une adolescence heureuse, rêvant d'exotisme et de liberté, décide de suivre Amine pour s’installer près de sa famille au Maroc, à Meknès. Le couple vivra d’abord chez Mouilala, la mère d’Amine puis s’installera dans une ferme sur la colline car le but d’Amine est d’exploiter et faire prospérer les terres de son père. Très vite, Mathilde va être confrontée aux difficultés: l’aridité des paysages, le climat, le manque d’argent, la langue, même si elle l’apprendra rapidement, et surtout le mode de vie, les coutumes locales “Ici, c’est comme ça” Cette phrase, elle l’entendrait souvent. A cet instant précis, elle comprit qu’elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des autres”. Paradoxalement, elle est doublement étrangère, étrangère parmi les marocains mais aussi parmi les colons français installés au Maroc. Du fait de son mariage avec un “indigène” ils la rejettent, la marginalisent, elle a fait un “mauvais “ mariage, on se moque d'elle: “ La grande blonde aux yeux verts, qui dépassait son mari, le bicot” , “ la blanche et le moricaud” p.70-71 Seul le couple Dragan et Corinne Palosi lui seront amis. Et encore, lorsqu’elle retournera en Alsace, à la mort de son père, elle éprouvera ce même sentiment d’étrangeté: “ Le pays qu’elle avait quitté s’était reconstruit sans elle.....elle ne savait pas si elle était saisie par la familiarité de ce lieu ou, au contraire, par un dérangeant sentiment d’étrangeté” p.242- 243. Amine, étranger dans le pays des autres d’abord en France, même s’il est “le libérateur” ( p. 268 à 273 où Amine et Mourad se souviennent du jour où ils avaient été invités chez Mathilde); A son retour au Maroc, il est à nouveau dans le pays des autres, on le tutoie, on l’humilie; on se moque de lui. Il est chez lui mais on réfute sa légitimité. D’une part parce que la France, à partir de 1912, y a institué une protectorat et y pratique une politique de colonisation comparable à celle de l’Algérie; mais aussi parce que, ayant combattu avec les français, pour la France, c’est comme s’il avait trahi, perdu son appartenance à son peuple. C’est ce à quoi il pense après avoir parlé avec Hadj Karim, un homme d’affaires de Fès qu’il va rencontrer alors qu’il cherche son frère Omar qui, lui, a rallié la cause des nationalistes. “Il (Amine) était un lâche...il ,a umilieu de ce peuple, mais il n’en n’avait jamais conçu de fierté.. Il lui semblait qu’il vivait dans un monde uniquement peuplé d’ennemis... Il enviait le fanatisme de son frère, sa capacité à appartenir” p,300 -301. Lorsqu’on s’attarde sur la vie des femmes au Maroc à cette époque, on serait tenté de dire que le pays des autres c’est aussi le pays des hommes. Seule Mouilala, la mère, vu son âge, son état de veuve, impose son pouvoir sur toute sa famille, pour un certain temps seulement, car elle cédera à son fils Omar quand celui-ci voudra organiser une réunion de nationalistes chez elle et elle ne pourra pas l'empêcher d’entrer en clandestinité. Mouilala est donc dominée mais aussi dominante: Yasmina est son esclave. Selma, la jeune sœur d’Amine, symbolise le désir d’émancipation des jeunes marocaines dans les années 50. Malheureusement, elle aussi à la fin succombera à la volonté des hommes, de son frère en l'occurrence. On voit ici l’ambiguïté des nationalistes qui en paroles se disent pour l’émancipation des femmes en général mais quand cela concerne
leurs sœurs, leurs filles ils s’y opposent.. Ambiguïté aussi d’Amine, il a épousé une étrangère mais interdit violemment cette modernité à Selma.
Les avis des participantes étaient plutôt partagés: au cours de notre rencontre on est passées d’appréciations positives à d’autres beaucoup plus mitigées.
LE CADRE HISTORIQUE
Certaines ont aimé le cadre historique peut-être peu connu: le Maroc, sous régime de protectorat français de 1912 à 1955 année où se termine le roman qui commence en 1946 quand Amine et Mathilde arrivent à Rabat. Il faudra attendre 1956 pour que le gouvernement français reconnaisse l’indépendance. du Maroc. Ainsi, nous avons assisté à la naissance des mouvements nationalistes, aux émeutes populaires durement réprimées. Il y a qui a aimé le personnage de Mathilde, sa détermination, sa ténacité devant les difficultés à s’intégrer, à vivre sur cette terre , à surmonter la maladie, le regard des autres, la violence parfois de Amine, son courage quand elle décide, après son séjour en Alsace, de rentrer au Maroc auprès de son mari et de ses enfants. On a aimé aussi la métaphore du “citrange” résultat de la greffe une branche de citronnier sur un oranger . p.86. Et vers la fin p.398 il lui explique: “ Nous, nous sommes comme ton arbre, à moitié citron et à moitié orange. Nous ne sommes d’aucun côté..... dans le couloir il songea que les fruits du citrange étaient immangeables. Leur pulpe était sèche et leur goût si amer que cela faisait monter les larmes aux yeux. Il pensa qu’il en allait du monde des hommes comme de la botanique. A la fin, une espèce prenait le pas sur l’autre et un jour l’orange aurait raison du citron ou l’inverse et l’arbre redonnerait enfin des fruits comestibles. ” Quelques critiques pour terminer: quelqu’un a eu l'impression de ne pas bien connaître les personnages seulement ébauchés; il y a qui l’a défini un roman sans profondeur dans lequel beaucoup de thèmes sont affrontés mais superficiellement. D’autres ont parlé de roman sans émotions, aseptique, de style froid , de descriptions peu chaleureuses. Par contre et pour conclure, toutes d’accord pour lire les deux volets suivants quand ils sortiront et prêtes à changer d’avis. (M .R.)
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